Compte-rendu visio-conférence du Docteur Huerre le 7-12-2021
« Impact de la crise sanitaire sur les enfants, adolescents et jeunes adultes »
72 personnes appartenant à différentes associations se sont connectées.
Patrice Huerre intervient en tant que pédopsychiatre et psychanalyste sans oublier qu’il a été élève et étudiant. Il a été praticien hospitalier et est encore membre administratif de l’Ecole à l’Hôpital Paris Ile de France.
Début mars, sortira son livre « Comment l’école s’éloigne de ses enfants. »
Cette visio-conférence a été enregistrée et pourra être visible à titre personnel pour les associations y ayant participé.
Avant d’établir un constat, P.Huerre rappelle qu’on ne peut le généraliser étant donnée la grande variété de situations due aux réactions différentes de personnalités, fragilités, solidités et modes de fonctionnement différents.
Il différencie 2 périodes : celle du confinement et celle de la fin du confinement à aujourd’hui. • La période du confinement
Les jeunes ont dû mobiliser des ressources personnelles inédites, faire avec un contexte troublant. Ils ont été amenés à puiser dans des réserves personnelles, ce qui a pu les épuiser. Ils se sont sentis responsables de leurs ainés et ont dû les protéger. Contrairement à ce qu’on peut croire, c’est une génération dotée de qualités précieuses.
Le confinement a présenté, pour certains, des avantages :
Ex. les phobiques qui ont vu leur peur du périmètre scolaire allégé. Ou les jeunes présentant des troubles autistiques qui n’ont pas les codes des relations aux autres. Tandis que la relance des cours a été vécue de manière négative.
Un autre avantage a été pour certains jeunes hospitalisés car ils ont pu bénéficier de la vie de groupe que le monde extérieur ne leur permettait plus.
Le confinement a présenté pour d’autres de plus grandes difficultés :
Ceux présentant des appétences à l’Autre : ils ont souffert silencieusement. (pour protéger leurs aînés).
Ceux qui avaient changé de classe ou d’établissement scolaire se sont trouvés isolés quand ils n’avaient pas pu établir de lien avant avec leurs pairs. L’absence de possibilité de démarche de groupe les a conduits à décrocher souvent.
Ils ont ressenti un sentiment de grande injustice à devoir subir des contraintes à l’égard d’adultes alors qu’on leur disait qu’ils ne couraient pas de risque.
Toutes ces situations ont laissé des traces.
- De la fin du confinement à aujourd’hui
o Dans le domaine de la santé mentale, les décompensations ont augmenté alors que les libertés ont été plus grandes : états d’angoisse, dépressions, auto-agressions, tentatives de suicide (révoltes contre eux-mêmes, manifestations de souffrance en eux ou contre eux-mêmes).
o Rupture de jeunes avec leurs études, leurs projets. (malgré les batailles qu’ils avaient menées pour des inscriptions dans certains cursus). Parfois rompre a été un
soulagement quand les choix n’étaient pas les bons. C’est un gâchis de potentialités. o Rattrapage des relations aux autres, parfois avec des excès (fêtes).
On avait pensé que la fin des principales restrictions aurait fait que tout revienne comme avant, mais cela n’a pas été le cas. Il faudrait au moins 1 ou 2 ans pour amortir l’impact traumatique. Ces périodes pourraient être plus longues autour de la puberté, les adolescents étant davantage tributaires de leurs pairs.
En conclusion, on voit des différences s’établir entre ceux que ce contexte permet de stimuler (créativité) et ceux qui ressentent un empêchement de penser, d’avancer, une sidération.
Questions/réponses
- Lâchage des études
Manière de radicaliser des choix, des situations pour éviter des questions. Certains en tirent un soulagement. Cela va les conduire à se poser des questions ensuite.
- Proportion des stimulés/ceux en grande difficulté
Ceux en grande souffrance sont en minorité mais leur nombre augmente. Leur accueil en structure est plus difficile et le nombre de répondants pédopsychiatres diminue.
- Phénomène de décompensation
Quand la pression extérieure augmente, les mécanismes de défense donnent lieu à des manifestations qui témoignent de débordement. Beaucoup d’énergie est alors sollicitée.
- Comment comprendre la variété de réactions
C’est en lien avec la diversité humaine. On constate toute une gamme de réactions intermédiaires. Certains individus sont capables de saisir des opportunités. Cela dépend des différentes modalités de fonctionnement de chacun, qu’on ignore parfois. Cela peut provoquer un état d’attente et d’anxiété.
- Facteurs de résilience
Nous avons, en tant qu’intervenants, un rôle à jouer : donner le sentiment d’exister pour quelqu’un d’autre. L’aider à ouvrir des perspectives.
- Cours à distance
Cela peut être un progrès quand les distances géographiques sont trop grandes ; quand le lien peut être maintenu à condition que la relation « en vrai » ait été établie avant. Comment initier une relation thérapeutique à distance ? Cela ne pose pas de problème quand les protagonistes se connaissent déjà car on peut s’appuyer sur cette relation. (sinon c’est mieux que rien !)
La question de l’attention se pose. On peut plus facilement décrocher, faire autre chose pendant que l’adulte parle.
On peut tirer profit de cette expérience.
- Enseignement à distance en primaire ?
- Huerre fait partie du CSA/ usage des écrans.
L’écran est un complément utile si l’enfant n’est pas livré à lui-même devant (jamais avant 3 ans). Il n’est pas une fin en soi mais une médiation.
Savoir discerner les avantages et les inconvénients.
- Augmentation du retard entre les « retardataires » et les « doués » ?
Rôle fondamental des enseignants bénévoles pour stimuler les compétences non visibles des élèves. Quelle qualité d’investissement mettre dans les apprentissages ?
- Aspirations différentes
Sur le plan collectif, le rapport au monde est différent. D’autres rapports au monde, à la terre, à l’enseignement ont vu le jour. 50% des métiers du futur sont inconnus. La répétition des destins autrefois est maintenant bouleversée.
Les modes de formation ont changé. La capacité d’adaptation qui se dessinait augmente le processus. Manque de confiance en l’adulte qui a été incapable d’anticiper : l’avenir n’est pas pré écrit.
- Baisse de la capacité à se concentrer ?
Les enfants ont passé plus de temps devant les écrans et avec la reprise de la scolarité en direct, ce temps a diminué. La capacité à se concentrer avant confinement, avait déjà baissé. Ce n’est pas mieux ou moins bien, c’est différent. Ces usages font partie de leur monde. A moins qu’on veuille qu’ils soient handicapés devant ces outils, on devrait s’en réjouir. La responsabilité des adultes se situe dans l’apprentissage de ces usages. Se poser plutôt la question de « pourquoi les écrans ? » plutôt que les interdire. L’enseignant doit avoir un rôle de guide des apprentissages.
1 heure de cours est, pour certains élèves, impossible à tenir. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne peuvent jamais être attentifs. Trouver des modalités d’apprentissage différentes dans le groupe. Réfléchir à la gestion du groupe classe.
- Défi pédagogique
Les modes de réactions face aux changements sont très différentes chez les enseignants.
Par ex. : Apprendre à lire dans des conditions difficiles, avec le masque. Soit on cherche des solutions, soit on abandonne. Chercher des modalités d’apprentissages nouveaux.
- Ultime conseil devant un jeune malade
Amorcer un court dialogue pour questionner la situation actuelle. Ne pas faire comme si c’est comme avant. Sur place, masqués, nommer les difficultés implicites.
- Les hommes ont déjà vécu des difficultés plus grandes
Oui mais c’est la 1ère génération qui n’a pas connu de guerre. L’appréciation du drame varie selon chacun. Pour l’ado, le drame c’est de ne pas avoir de relation avec ses pairs. Il y est sensible. (Sentiment de perte de temps irréparable)
Dans d’autres circonstances dramatiques (dans les camps de concentration, dans les lieux de refuge), les contacts humains étaient maintenus.
Les progrès technologiques ont permis de garder le contact.
- Santé mentale
Selon l’OMS, c’est l’absence de trouble (ne pas connaitre d’angoisse etc…). Même en bonne santé, on peut connaitre des moments d’inquiétude. Mais on fait la différence entre ce qui est constitutif de soi et ce qui est extérieur à soi.
- Vaccin
Quand il est inquiet, l’être humain a besoin de nommer sa source d’inquiétude pour cibler sa colère. Patrice Huerre remercie les bénévoles qui sont un point d’appui pour le futur des élèves.